Introduction

À la défense de la diversité

À la défense de la diversité – Description des subventions de la Fondation, dont le travail particulier répond aux besoins de notre société hétérogène.
novembre 1, 2013

À la défense de la diversité

À la défense de la diversité – Description des subventions de la Fondation, dont le travail particulier répond aux besoins de notre société hétérogène

De récentes statistiques démographiques appuient ce que la Fondation perçoit de manière empirique depuis des années : partout en Ontario, les localités accueillent un flux de nouveaux arrivants originaires des quatre coins du monde. Jadis, les villes frontalières et Toronto étaient les principales destinations des immigrants mais cela change, tout comme le portrait de leurs lieux d’origine.

Dans certains milieux, la diversité est devenue un sujet si courant qu’il risque de devenir banal. De nombreux milieux de travail et de nombreuses localités se sont engagés de manière concertée à faire une place à la diversité et à trouver des moyens de composer de manière respectueuse avec les différences. Les services de formation pullulent. Les services de traduction en ligne gratuits sont légion. Les distinctions rendant hommage à la diversité abondent.

Pourtant, la notion de « diversité » possède une complexité et des nuances qui sont peut-être encore méconnues. Les trois projets de subventions décrits ci-dessous illustrent certains des aspects les moins connus de la diversité en ce qui a trait au droit et à la profession juridique.

 

La diversité au sein de la diversité

En 2008, la Fondation du droit de l’Ontario a assuré pendant cinq ans un modeste financement de départ à l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario (AJEFO) pour le lancement du programme Concentration en justice. Ce programme, calqué sur le programme Law in Action Within Schools (LAWS) de la faculté de droit de l’Université de Toronto (que la Fondation soutient également), offre des cours spécialisés aux élèves des écoles secondaires de langue française d’Ottawa. Il permet d’intégrer des cours de droit au cursus régulier et propose des activités supplémentaires, comme des ateliers spéciaux et des sorties, supervisées par quelques-uns des 45 bénévoles issus principalement de la magistrature d’Ottawa.

L’un des buts principaux du programme Concentration en justice est d’encourager les élèves de langue française à faire carrière dans le domaine du droit afin que le système judiciaire compte une proportion d’employés d’expression française suffisante pour offrir d’importants services. Jusqu’à présent, le programme Concentration en justice a réussi à éveiller et soutenir l’intérêt des élèves autant que des bénévoles; il est cependant encore trop tôt pour dire si ces élèves feront carrière en droit.

Toutefois, les débuts ont incité le personnel et le conseil d’administration de l’AJEFO à voir d’un autre œil la collectivité pour laquelle elle a été créée en 1980. À cette époque, la question des droits linguistiques était centrée assez clairement sur le droit des Canadiens français d’obtenir des services publics fondamentaux dans leur langue maternelle.

En 2012, les besoins des Canadiens d’expression française sont loin d’être aussi nettement définis qu’il y a trente ans. À Ottawa, on compte maintenant parmi les immigrants de langue française des personnes originaires de pays d’Afrique ayant le français comme langue officielle (il y en a 21, qui représentent 72 p. 100 de tous les pays africains). Le français parlé varie considérablement d’un pays à l’autre (le français du Cameroun n’est pas celui de Paris, et le français du Canada est différent du français camerounais et parisien), et les valeurs culturelles qu’il véhicule diffèrent encore plus.

Cette réalité a eu un effet perceptible sur l’AJEFO et le programme Concentration en justice. Celui-ci n’est pas une transposition du programme de langue anglaise LAWS de Toronto à l’intention des collectivités de langue française. Ses modules et sa documentation ont été créés exprès en fonction d’exigences particulières. Les programmes LAWS et Concentration en justice favorisent l’un et l’autre, sous le sceau du respect et de l’ouverture d’esprit, les débats entre les élèves sur les valeurs sociales qui sous-tendent le droit canadien. Par contre, le programme Concentration en justice encourage également les élèves à échanger sur les différences entre les valeurs canadiennes et celles des autres cultures de langue française et sur la façon dont on pourrait ou devrait concilier ces différences.

Danielle Manton, directrice générale de l’AJEFO, observe que les discussions entre élèves de langue française sont d’autant plus riches que la composition de leur groupe est hétérogène : ils ont envie d’en savoir davantage sur les autres cultures et leurs valeurs, et leurs discussions respectueuses en classe les amènent tous à mieux comprendre le droit canadien. Par contre, à l’extérieur de la salle de classe, la façon dont les élèves se regroupent spontanément à la cafétéria de l’école permet de penser qu’ils évitent peut-être de se mêler aux autres en raison de leur culture d’origine. Une brève observation ne permet même pas de recueillir assez d’information pour émettre des hypothèses sur de possibles corrélations entre ces deux phénomènes, mais elle donne certes matière à réflexion.

Compte tenu du changement démographique saisissant de la collectivité francophone, le conseil d’administration de l’AJEFO a décidé d’amorcer une réflexion sur la définition du terme « francophone » et sur les répercussions d’une révision de cette définition sur sa mission et ses services.

 

La complexité de la traduction

Même si la prise en compte de la diversité se limitait à la seule traduction, lorsqu’il s’agit de questions juridiques, la traduction ne consisterait pas seulement à trouver des mots correspondants entre les langues, comme l’ont démontré les bénévoles travaillant au projet « Bridge the Gap » de la Federation of Asian Canadian Lawyers (FACL). Le but de ce projet était de créer un ensemble de vidéos didactiques de base portant sur trois domaines du droit, puis de les traduire dans sept langues (elles se trouvent sur le site Web de la FACL à https://www.facl.ca/resources/bridge-the-gap/ et sur YouTube à https://www.youtube.com/channel/UCZDlxuLVWpMnb60qsz5Auww).

La FACL a entrepris un projet complexe qui comportait plusieurs étapes et qui a mobilisé de nombreux bénévoles, dont des avocats membres de cette fédération et des linguistes. Une fois les recherches juridiques préliminaires terminées, ces personnes ont créé des scénarios‑maquettes pour permettre à l’équipe de production de commencer le travail sur les vidéos pendant que les scripts étaient étoffés en anglais. La première étape de la « traduction » n’a pas consisté à traduire le script dans une autre langue mais à le traduire en langage clair et simple, la première difficulté étant que l’aptitude à communiquer en langage clair et simple est, en fait, un domaine de compétence fort différent de celui – juridique – dans lequel les avocats sont très versés.

La deuxième étape de la traduction a consisté à envoyer le script en langage clair et simple aux linguistes bénévoles pour qu’ils le traduisent dans une autre langue, avec l’instruction précise d’en faire une traduction en langage clair et simple et non une traduction littérale. En outre, les linguistes ont eu des divergences d’opinions sur la pertinence des choix de mots, alors que la préoccupation des avocats est de veiller à l’exactitude des informations juridiques. La FACL s’est donc assurée, tout au long de ce projet, que tout était revu par plus d’un linguiste afin d’assurer la clarté et la cohérence. D’autres difficultés sont survenues lors de l’enregistrement audio. Par exemple, toutes les langues évoluent au fil du temps, mais certaines plus rapidement que d’autres. De telles différences sont ressorties lors de la traduction en tagalog, langue qui a emprunté de nombreux mots à l’anglais. Un traducteur qui collaborait à l’enregistrement audio a posé des questions sur la traduction originale du script écrit et a fait savoir que l’usage de la langue avait évolué et que certains choix de mots convenables à l’écrit ne l’étaient plus à l’oral. Le fait de travailler avec plus d’un linguiste sur chaque script accroissait leurs chances de déceler des malentendus possibles et de trouver la meilleure traduction. Dans de nombreux cas, le choix de mots définitifs a dû se faire dans le cadre de longues discussions entre les linguistes d’une part, et entre ces derniers et les avocats d’autre part.

Dans les cas où il n’existait pas d’équivalent dans la langue d’arrivée, la solution généralement adoptée consistait à insérer le terme anglais entre guillemets et à étoffer le script oral par l’ajout d’une explication. Ainsi, en vietnamien, le plus proche équivalent du terme « adjudicator » est « judge ». On a donc ajouté du dialogue pour expliquer la différence entre un « adjudicator » et un « judge ». De même, en coréen, il n’existe pas d’équivalent de l’expression « orientation sexuelle ». Il a fallu allonger la durée de la vidéo en coréen pour y ajouter une explication dans le volet audio.

La résolution de toutes les difficultés de traduction a retardé l’achèvement des vidéos, mais la détermination de la FACL à être à l’écoute et à comprendre a permis d’obtenir des résultats de qualité supérieure. Ces efforts signifient que les personnes qui ne sont ni anglophones ni francophones et qui ont grand besoin de comprendre certains droits fondamentaux et règles fondamentales de procédure du système de justice canadien bénéficieront d’une aide améliorée.

 

Modèles et stéréotypes

Le Réseau ontarien d’éducation juridique (ROEJ) offre une vaste gamme de programmes visant à encourager les jeunes à comprendre le droit et à acquérir une pensée juridique. Les élèves apprennent graduellement à reconnaître les stéréotypes et à comprendre comment ceux-ci influencent leurs attitudes et leurs comportements. Fait intéressant, le ROEJ remarque que les préjugés des élèves à l’égard de la profession juridique comportent souvent un mélange de facteurs socio-économiques et de traits physiques.

Une petite activité qui avait d’abord servi à briser la glace auprès d’un groupe d’élèves du niveau secondaire a eu un résultat si inattendu que le ROEJ l’a élaborée pour en faire un exercice à part entière intitulé « Mon parcours personnel vers une carrière en droit » (« My Personal Journey to a Career in Law »). Dans le cadre de cet exercice, trois avocates bénévoles rencontrent un groupe de jeunes filles du secondaire ; on transmet à ces élèves un ensemble de faits n’ayant aucun lien entre eux au sujet des avocates bénévoles et on leur demande d’associer chacun de ces faits aux différentes avocates. Entre autres faits, on peut dire : « mon père est camionneur », « je parle cinq langues », « j’ai gagné le championnat de tennis des écoles secondaires de l’Ontario » ou « j’avais un boulot de concierge avant de m’inscrire à la faculté de droit ». Les avocates bénévoles diffèrent par leur âge et leur bagage culturel : une jeune Noire, une Latino d’âge moyen et une avocate d’expression française.

Immanquablement, les élèves associent les faits aux personnes en se fondant sur des stéréotypes qu’elles ignoraient avoir, c’est-à-dire des stéréotypes négatifs qui établissent un lien entre certaines conditions socio-économiques, certains bagages culturels et certains choix de carrière. Les élèves sont étonnées de découvrir leurs propres partis pris et sont très curieuses de rencontrer pour la première fois « une avocate qui leur ressemble ».

Fait encourageant : les élèves sont souvent réceptives lorsqu’elles découvrent qu’elles ont plus de préjugés qu’elles ne le pensaient et elles sont disposées à réviser leurs idées. Fait encore plus encourageant : elles peuvent reconnaître rapidement comment leurs attitudes et leur comportement envers elles-mêmes et leurs camarades de classe ont été influencés par des stéréotypes qu’elles ne reconnaissaient pas, et elles parlent de modifier leur comportement ou de se fixer des buts personnels plus élevés. C’est ainsi que, progressivement, une élève à la fois, le ROEJ contribue à dissiper les préjugés concernant la culture et la profession juridique.

Sur le plan personnel, Mara Clarke, directrice des initiatives stratégiques du ROEJ, constate que le fait d’apprendre à reconnaître comment ses propres attitudes faisaient obstacle à sa confiance en elle l’a beaucoup aidée à surmonter l’effet paralysant du racisme. N’ayant pas eu de modèle professionnel fort, elle pensait que son diplôme de premier cycle obtenu avec grande distinction ne suffirait pas à lui ouvrir les portes des plus prestigieuses facultés de droit. Elle a donc tenté de s’inscrire uniquement dans les facultés qui offraient une voie d’admission spéciale à certains groupes ethniques. C’est seulement a posteriori qu’elle est en mesure de comprendre qu’elle s’est imposé inutilement des limites. Toutefois, faute de modèles forts, certaines personnes peuvent mettre beaucoup plus de temps que d’autres à le comprendre. Et ces personnes sont parfois celles qui bénéficient largement de stratégies qui les ciblent, comme les voies d’admission spéciales à l’université.

 

Valeurs culturelles, valeurs personnelles ou les deux à la fois ?

Mara Clarke a également tiré des conclusions réfléchies sur ce qu’elle peut faire lorsqu’elle est confrontée à la discrimination : « Si je suis victime de discrimination en raison de la couleur de ma peau, je ne peux pas changer ma peau. Par contre, je peux me demander si la cause d’un problème est quelque chose qui dépend de moi. » À titre de comparaison, elle donne l’exemple d’une situation professionnelle dans le secteur privé, où elle avait offert à un collègue de l’aider à distribuer des dépliants, mais avait été dissuadée de le faire par un autre collègue qui était d’avis qu’elle ne devait pas s’abaisser à faire des tâches « de subalterne ». Peut-être le commentaire décourageant découlait-il de la bonne intention du collègue d’aider Mara à lutter contre un stéréotype racial, ou était-il fondé sur une vision élitiste de la profession juridique, ou résultait-il du simple calcul économique voulant que le temps consacré par les avocats à leur travail soit trop cher pour être consacré à des tâches d’employé non qualifié. Plutôt que de présumer que le commentaire découlait d’un stéréotype racial (malgré la bonne intention), Mara a préféré considérer ce commentaire comme la marque d’une différence entre ses valeurs personnelles et celles de l’entreprise. Sa solution a été de se trouver un emploi dans une organisation dont la culture était davantage compatible avec ses valeurs personnelles. Au sein d’une organisation à but non lucratif ayant un budget limité, offrir son aide pour l’exécution d’une tâche « de subalterne » est considéré comme la marque d’un esprit d’équipe, ce qui est valorisé et non pas découragé. Le fait d’être au service de la mission particulière du ROEJ est un plus pour Mara car cela lui permet de participer à des initiatives de ciblage qui combattent les préjugés négatifs à l’endroit de la profession juridique et au sein de ses membres.

 

Quelles leçons tirer ?

Ces récits ne font qu’effleurer les questions et défis que pose la diversité. La Fondation ne prétend pas avoir réponse à tout mais elle peut dégager une leçon : nous pouvons tous apprendre beaucoup des bénéficiaires de nos subventions. Nous vous encourageons à tisser des liens directs avec eux afin d’écouter ce qu’ils ont à dire. Nous savons que vous serez tout aussi fascinés et impressionnés que nous par leur intuition et leur compassion.