Rebecca Toulouse participe, trois fois par semaine, à un cercle de guérison qui commence par l’odeur familière de la sauge lors de la cérémonie traditionnelle de purification.
Ce cercle fait partie du programme de justice communautaire Autochtone (ICJP) de l’Ontario Federation of Indigenous Friendship Centres (OFIFC), un programme adapté à la culture qui adopte une approche globale concernant la justice et vise à détourner du système de justice pénale les jeunes et les adultes Autochtones ayant eu des démêlés avec la justice.
« Ensemble, nous élaborons un plan de guérison unique à chaque personne et à ce qu’elle veut ou doit faire pour avancer », affirme Mme Toulouse, administratrice de programme, Justice communautaire Autochtone au Niagara Regional Native Centre. « Certains ont également d’autres problèmes pouvant aggraver leur problème juridique, notamment en lien avec la santé mentale ou l’itinérance. Leur plan comprendra l’orientation vers des services communautaires pour les soutenir dans leur cheminement. »
« En Ontario et partout au pays, les populations Autochtones sont largement surreprésentées dans le système de justice pénale canadien comme victimes et délinquants. Cette situation découle de problèmes sociétaux plus vastes », explique Sylvia Maracle, directrice générale de l’Ontario Federation of Indigenous Friendship Centres (OFIFC). Il s’agit notamment de la confluence des effets intergénérationnels de la colonisation, de l’héritage des pensionnats et de la violence institutionnalisée continue touchant la santé et le bien‑être des communautés Autochtones.
« Certaines personnes s’attirent des ennuis parce qu’elles ont faim et ont besoin de nourriture, de couches ou de produits d’hygiène personnelle. C’est une tragédie pour nous tous. Inculper et emprisonner des gens n’est pas une réponse utile; les programmes de justice communautaire Autochtone le sont », déclare Mme Maracle.
Les personnes ayant été en conflit avec la loi doivent faire une demande pour suivre le programme de déjudiciarisation (ou y être recommandées) et être acceptées. Seules celles ayant commis des infractions communautaires et administratives, et non des crimes dangereux ou violents, sont admissibles.
« Il est important de ne pas se contenter d’examiner les lois et leur structure, mais de se pencher sur le mot “justice”, explique Mme Maracle. Il ne peut s’agir uniquement de l’administration de la loi; il faut essayer de mettre fin aux comportements nuisibles par des moyens culturellement appropriés. »
L’OFIFC représente les intérêts collectifs de 29 centres d’amitié dans toute la province. Ce sont des lieux où les Autochtones vivant en zone urbaine peuvent se rassembler, établir des liens et recevoir des services culturellement adaptés dans des domaines tels que la justice, la santé, le soutien familial, les soins de longue durée, la guérison et le bien-être, l’emploi et la formation.
Le programme ICJP a commencé au Niagara Regional Native Centre en 1999 et l’OFIFC administre actuellement six ICJP aux quatre coins de la province, dans les établissements suivants : le N’Amerind Friendship Centre (London), le Ne Chee Friendship Centre (Kenora), le North Bay Indigenous Friendship Centre, l’Odawa Native Friendship Centre (Ottawa) et le Thunderbird Friendship Centre (Geraldton). L’OFIFC administre également un programme régional grâce à une collaboration entre le Niagara Regional Native Centre, le Fort Erie Native Friendship Centre et le Hamilton Regional Indian Centre. D’avril 2017 à décembre 2019, l’ICJP a permis de mener à bien 523 déjudiciarisations, permettant au système de justice pénale d’économiser plus de 4,2 millions de dollars.
Depuis 2008, la Fondation du droit de l’Ontario a versé à l’OFIFC près de 500 000 $ de subventions. Plus récemment, la Fondation a soutenu un programme de formation pour les coordonnateurs et coordonnatrices des ICJP. Ce programme a permis de renforcer les compétences collectives des coordonnateurs et coordonnatrices et d’étendre la portée du programme grâce à un modèle de formation des formateurs et formatrices pour les bénévoles et les partenaires communautaires.
Selon Mme Maracle, lorsqu’elle a été adressée au ICJP, une femme aux prises avec des problèmes de dépendance et d’itinérance était coincée dans un cercle vicieux d’accusations répétées liées à la drogue et de peines de prison. Même si elle a connu quelques revers, elle a atteint une stabilité grâce au plan établi dans son cercle de guérison. Les dernières accusations liées à la drogue portées contre elle ont été retirées, brisant ainsi le cycle.
« Ce sont des gens dont le comportement est non violent. Ils ne sont une menace pour personne d’autre qu’eux-mêmes, alors pourquoi les laisser croupir en prison? Pourquoi ne cherchons-nous pas des solutions? », demande Mme Maracle.
Au Niagara Regional Native Centre, Jessica Riel-Johns, responsable des programmes de justice, d’alphabétisation et d’emploi et coordinatrice du programme ICJP, voit à quel point les besoins sont importants. « Beaucoup de personnes qui viennent nous voir font face à des difficultés économiques et environnementales. Selon la saison, elles nous indiquent qu’elles vont récidiver afin de pouvoir avoir un toit et des repas gratuits. »
« Les plans de guérison sont motivés par la culture », ajoute Mme Riel‑Johns. « Une fois que la relation culturelle des personnes est renforcée, ces dernières sont capables de réparer une grande partie des traumatismes qu’elles ont subis. Quand elles obtiennent le soutien de la communauté et les services adéquats, elles commencent à suivre le chemin que nous avons aidé à tracer. »
Mme Toulouse a travaillé avec une jeune femme qui, lorsqu’elle se trouvait en détention, était agressive et peu coopérative. Elle était aux prises avec des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, mais elle s’est véritablement liée au cercle de guérison et à son plan de guérison lorsqu’elle a été adressée à l’ICJP. Trois mois plus tard, elle a mené à bien son plan. « Elle va très bien maintenant. Elle est en bonne santé et avec sa famille. Son objectif était de rentrer chez elle, et elle l’a atteint. »